Chofetim 5783

« Des juges et des policiers tu placeras pour toi dans toutes tes portes… »
(DEVARIM 16,18)

Nous entrons ce soir dans le mois de Eloul. C’est le mois qui va nous conduire à Roch Hachana, le jour du jugement.
Cette semaine, nous lisons la Paracha Chofetim, comme dans la plupart des parachyot du dernier livre de la Torah, Moshé donne ses recommandations aux Bné Israel, avant que le peuple entre en Israel.
Littéralement le verset en entête fait référence au pouvoir judiciaire à mettre en place lorsque l’on entrera en terre d’Israel. Il faudra des juges pour juger et des policiers pour faire respecter la justice. Comme le précise Rashi sur le premier verset, les policiers auront un pouvoir de coercition pour faire respecter les décisions de justice.
Toutefois, on peut aussi lire le début de paracha comme une invitation au retour aux sources.

La première fête présentée dans la Torah, c’est Pessa’h, qui forme avec Chavouot, l’objectif : il faut trouver la liberté et la proximité avec D. L’étude de la Torah et la pratique des mitswot sont la feuille de route pour tenter de s’approcher de D.

A Pessa’h et à Chavouot, nous sommes donc plein d’entrain en découvrant le programme, l’idéal.

Le problème, c’est que l’idéal ne reste souvent qu’un idéal. Et même si on a tenté de s’en approcher, est-on vraiment sûr d’être dans la bonne direction.

Si l’on donne une mission à accomplir à son prochain, et que l’on ne contrôle pas derrière, c’est voué à l’échec. Le contrôle est lié à la nature humaine.

Dans Baba Metsia 29 Rabbi Yo’hanan dit celui qui veut perdre son argent n’a qu’à prendre des employés et les laisser travailler seuls. Le contrôle est indispensable au succès de la mission.
C’est vrai pour les missions que je confie aux autres, et c’est aussi vrai pour les objectifs que je me fixe.

Après donc l’idéal présenté à Pessa’h à Chavouot, nous avons besoin d’une phase de contrôle. C’est la raison pour laquelle nos Maîtres nous ont expliqué que Roch Hachana est le début du jugement.

C’est la 2è série de fêtes et de rencontre avec D. et avec soi-même. Si je veux progresser, je dois contrôler, dresser un bilan : comparer le plan initial à la réalisation.

[A partir d’ici, je reprends largement ce que j’ai envoyé en 5781]

“Des juges et des policiers tu placeras pour toi” : Il faut savoir se juger, s’évaluer, à l’approche de Roch Hachana. Il faut s’auto-évaluer, il faut faire un bilan. Mais ce n’est pas tout. Il faut aussi en tirer les conséquences. Il faut s’encadrer de policiers. Il faut se donner les moyens de ne plus fauter. Je dois me créer des policiers pour redevenir maître de moi-même. Je dois retrouver la pleine conscience de mes actes. Je ne peux plus agir sans réfléchir.

Un homme n’est pas un objet qui sait simplement agir ou réagir. Si je lance une balle, elle rebondit. Un homme ce n’est pas cela. Un homme doit penser ses actions et ses réactions. L’approche des fêtes de Tichri doit être une invitation à re-devenir maître de ses actions. Désormais, nous tenterons de ne plus nous situer dans le mode action/réaction, mais nous tenterons de fonctionner en mode réflexion / action.

Comme il y a 2 ans, en 5781 quasiment jour pour jour, j’ai étudié avec ami cette semaine un passage de la guemara Kidouchine 81a.

Rabbi Aqiva pleurait quand il arrivait au verset “et D. lui pardonnera” Bamidbar (30,13). Cela fait référence au voeu prononcé par la femme. La Torah parle du cas où la femme, pense profaner son voeu, mais elle ne sait pas que ce voeu a déjà été annulé (par son mari).
Rabbi Aqiva dit : “Si déjà celui qui pense manger du porc et qui mange de l’agneau a besoin d’expier sa faute, à plus forte raison, celui qui pense manger du porc, et qui mange du porc, a besoin d’expier sa faute”.

La guemara enchaîne avec un autre verset commenté par Rabbi Aqiva. Si quelqu’un faute, “et n’a pas connaissance et est coupable, il assumera sa faute” (Vayiqra 5,17).
Rabbi Aqiva pleurait en arrivant à ce verset : “Si déjà celui qui pense manger une graisse permise (choumane) et qui mange une graisse interdite (‘helev) est coupable, à plus forte raison, celui qui pense manger du ‘helev, et qui mange du ‘helev, est coupable”.

De ces 2 passages consécutifs on retient que dans une faute, il y a 2 dimensions: l’acte et l’intention.
Une mauvaise intention seule est déjà répréhensible. C’est compréhensible, la mauvaise intention est le signe que l’homme pense mal, et doit amender son comportement.

Mais l’acte seul, sans mauvaise intention, est aussi répréhensible. Pourquoi ? Est-ce juste d’avoir à regretter un acte fait sans aucune intention de le faire ?
Si ne je n’ai pas fait exprès, pourquoi devrais-je avoir à regretter ma faute, comme le précise la première loi du premier chapitre des Lois de la Techouva du Rambam ?

Dans notre paracha la Torah nous rappelle de préparer des villes refuges (Devarim 19,2). Pour qui ces villes ? Pourquoi ces villes ? Ce sont des villes qui devront héberger les meurtriers qui ont tué par inadvertance.
Mais si on a tué sans intention de donner la mort ou de blesser, est-ce juste d’être enfermé dans une ville jusqu’à la mort du Cohen Gadol ?
Le meurtrier n’a pas fait exprès, pourquoi le punir ?

Dans la dernière montée de notre paracha, la Torah nous présente la procédure de la Egla Aroufa, Devarim (21,1 et suivants). Si on trouve un cadavre entre 2 villes, on devra mesurer, pour savoir de quelle ville le cadavre est le plus proche. Les anciens de cette ville devront ensuite expier la faute par la Egla Aroufa. Mais, on ne connaît pas le meurtrier ! Les anciens n’ont tué personne, pourquoi une expiation est-elle nécessaire ?

Tout ce que l’on apprend d’ici, c’est que les explications du type, je ne savais pas, je n’ai pas fait exprès, ce n’était pas moi, je ne me suis pas contrôlé, je n’ai pas réfléchi, ON NE LES ACCEPTE PAS.

C’est trop facile de fuir et de vouloir s'exonérer de ses responsabilités. L’homme est infiniment responsable. C’est cela la grandeur de l’homme ! Même les actes manqués, les actes accomplis “sans intention”, nous en sommes responsables. Avant même Freud, nous savons que l’homme est aussi confronté à son inconscient.
Si nous fautons sans intention de le faire, c’est que nous avons oublié d’être conscient. Nous avons agi comme une machine, ou comme un animal, sans réfléchir.

Si je dis un mot méchant à mon prochain, sans réfléchir, et que je le blesse, c’est parce que j’ai parlé en mode automatique. Je n’ai pas pensé avant de parler.
Le but est d’être pleinement, et perpétuellement conscient. C’est ainsi que je me rapproche de D.
“Je considère que D. est toujours devant moi” (Chiviti Hachem lenegdi tamid).

Mais cet état de conscience perpétuelle n’est pas simple. Cela demande des efforts. Parfois, on peut être fatigué …. comment faire ?

Il faut éduquer son inconscient ! L’homme est tellement grand qu’il peut changer sa nature profonde, inconsciente.
La répétition d’une action va me permettre de me créer ma seconde nature, la vraie, celle que je choisis.

Si je donne une pièce à chaque pauvre qui se présente devant moi, si je mets une pièce dans chaque boîte de tsedaqa, alors je vais progressivement ancrer en moi que donner est naturel.

Si systématiquement, je tente de parler après avoir pensé, sans crier, alors, même lorsque je serai épuisé, ou lorsque l’on m’agressera, je garderai mon calme, je resterai un homme, je resterai maître de moi. Je n’aurai pas besoin d’utiliser le faux prétexte “je n’ai pas fait exprès”!

Si chaque chabbat, je réfléchis, et je partage le bonheur de chômer avec mes proches, alors le bonheur du chabbat deviendra une seconde nature. Je ne verrai Chabbat comme une contrainte. Chabbat sera juste un moment de bonheur. Une opportunité de comprendre que Je ne suis pas le centre du monde. Une chance d’intégrer en moi, que je ne suis pas mon propre D. : ce n’est pas moi qui fixe La Loi.

Les rites, les commandements divins qui peuvent sembler répétitifs, les prières qui peuvent aussi sembler répétitives, ont tous une vertu exceptionnelle. Ils me permettent de créer ma vraie nature. Je vais ainsi pouvoir grandir, et transformer mon inconscient.

CHABBAT CHALOM


Stéphane Haim COHEN

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