Yitro 5782

« [Yitro parle à Moshé] Tu vas t’épuiser [NaVoL, TiBoL] toi et ce peuple qui est avec toi, car la tâche est plus lourde que toi ; tu ne peux l’accomplir toi tout seul. »
Chemot (18,18)

Cette semaine nous vivons le but de la sortie d’Egypte, le Don de la Torah.
C'est dans la paracha Yitro que tout le peuple va atteindre le niveau de prophète, à tel point que chacun pourra percevoir le message divin.
J’espère, comme d’habitude, (encore plus ?) que je ne vais pas raconter de bêtises !


Je me suis souvent demandé pourquoi le début de la paracha nous parle d’un sujet a priori sans rapport avec le don de la Torah.

La semaine dernière, dans Bechal’ah, on a vécu la traversée de la Mer des Joncs, on a reçu la manne. La suite logique c’est le don de la Torah, sur le Mont Sinaï. Et pourtant, la Torah s’interrompt et nous raconte que Yitro vient donner un conseil à Moshé. Ce sujet semble tomber quand un cheveu sur la soupe.

Yitro, le converti au judaïsme, c’est le beau-père de Moshé. Il explique à son gendre qu’il doit déléguer le pouvoir de rendre la justice. Moshé devra mettre en place une structure pyramidale. Le peuple compte 600 000 hommes. Il y aura des juges pour 1000 hommes (donc 600 juges de ce type), des juges pour 100 (donc 6000 juges), pour 50 et 10 personnes.

Et Yitro avertit Moshé durement : si tu ne délègues pas les pouvoirs, tu disparaitras, toi et le peuple. La Torah utilise le mot “NaVoL”, que Rashi traduit par flétrir (verset en entête). C’est comme une fleur qui se fanne.
Normalement la nature est éternelle. Les arbres contiennent leur propre semence. Quand l’un disparaîtra, “les descendants”, les arbres issus de ses fruits, auront déjà pris le relais.

En revanche, si Moshé ne délègue pas, c’est la survie du peuple qui est en jeu. La chaîne de transmission sera coupée.

Pourquoi est-ce tant essentiel de déléguer ?

Personnellement, mes tendances naturelles ne me poussent pas à déléguer, et c’est un ami qui m’a montré le chemin… même si j’ai encore beaucoup de progrès à faire.
Le problème, quand on délègue, c’est que la personne à qui l’on confie la mission, sera probablement moins efficace que soi-même. Dans notre paracha, pour Moshé, c’est clair. Forcément, les juges choisis seront bien moins performants que Moshé qui a reçu la Torah, directement de D.

Malgré cela, il faut déléguer. Si j’aime mon prochain, je dois lui permettre de voler de ses propres ailes, et donc je dois lui faire confiance. Je dois lui donner de l’autonomie.
Je dois aussi être assez modeste pour comprendre que je ne détiens pas 100% de la vérité. Déléguer va me permettre de me rapprocher de la vérité. Et même si j’ai plus raison que mon prochain, je dois le laisser grandir, quitte à ce qu’il se trompe.

Il est préférable que mon prochain se trompe et grandisse, plutôt qu’il reste un pantin qui exécute et ne pense pas par lui-même. Si mon prochain grandit, alors moi aussi forcément, je vais grandir.

Moshé notre Rav est l’exemple pour tous les rabanim, tous les maîtres à penser. Un bon rav est celui qui apprend à ses élèves à être autonome. Moshé aurait pu “étouffer” le peuple par sa proximité avec D., et bien non ! Moshé va déléguer la justice, que l’on rend au nom de D.
D’ailleurs, souvent la Torah utilise le nom de eloh im (nom de D.) pour parler du juge (l’homme) qui tranche les différends.

Le bon Rav c’est celui qui, à l’instar de Moshé, va déléguer. Fréquenter un tel Rav,  permettra d’augmenter ses connaissances, et surtout de penser mieux. Alors bien évidemment, il faudra rester fidèle à la chaîne de transmission. Il faudra toujours se référer au Maître “au dessus”, comme dans le système pyramidale de Moshé. Mais chacun aura sa place pour grandir !
On comprend donc à présent pourquoi la recommandation de Yitro se situe avant le don de la Torah.

Chronologiquement, ce n’est pas à ce moment que Yitro a formulé ce conseil. Rashi explique sur le verset Chemot (18,13), que Yitro donne son conseil à Moshé après Yom Kippour, donc plusieurs mois après la révélation sur le Mont Sinaï.

Mais la Torah l’a placé juste avant La Révélation pour que l’on comprenne, que si Moshé ou le Rav ne délègue pas les pouvoirs de justice et donc d’interprétation de la Loi, alors c’en est fini du peuple juif et de la Torah.
Le leader spirituel doit aider ses élèves à fleurir. Il doit les aider à se poser des questions plutôt que d’apporter des réponses toutes faites.

Chabbat Chalom
Stéphane Haim COHEN